Dr Jean-Pierre ALIBEU
La fibromyalgie, après avoir fait couler beaucoup d’encre, fait maintenant réfléchir les milieux de la recherche et de la clinique dans une dynamique translationnelle.
Connue ou évoquée depuis le 19ème siècle, elle a intéressé diverses spécialités médicales, dont la psychiatrie, la neurologie, la rhumatologie, la médecine de rééducation, la médecine de la douleur. Depuis peu les neurophysiologistes, grâce aux progrès considérables de l’exploration du cerveau et de son fonctionnement, évoquent des hypothèses et incitent à mettre en œuvre de nouvelles pistes thérapeutiques. La Ligue européenne contre les rhumatismes (EULAR) a proposé en 2016 un nouvel algorithme de prise en charge de cette pathologie très invalidante.
La douleur, si elle est bien présente et au premier plan, n’est qu’une partie du handicap dont souffrent les patients qui en sont atteints mais reste l’un des symptômes majeurs.
Il est intéressant de se souvenir que différents noms ont été employés pour décrire cette affection. La première description parlait en 1849 de fatigue chronique, mettant l’accent sur cet aspect-là, puis en 1869, on la retrouve avec Beard (1) sous le vocable de neurasthénie spinale comme un état de faiblesse ou d’épuisement du système nerveux. La neurasthénie, terme qu’il a inventé, est décrite ainsi : « Au cours de la neurasthénie, l’hyperesthésie est très commune… elle peut être générale et s’étendre à tous les téguments, surtout au dos, aux régions latérales du tronc, aux extrémités des quatre membres… Il en est ainsi dans cet état nerveux que l’on admet sous le nom de forme spinale de la neurasthénie ». Cela fut repris en France par Bouveret en 1891. Les patients se plaignent d’une grande fatigue à la suite d’efforts insignifiants, d’un manque de tonus, de maux de dos et de douleurs aux jambes, de points sensibles le long de la colonne vertébrale.
Les traitements proposés sont d’époque et anecdotiques : « Un voyage à l’étranger, comprenant un séjour d’un mois ou deux en Suisse, ou encore, s’il y a présence de symptômes de dyspepsie nerveuse, dans l’un des nombreux spas, sera habituellement suffisant. Trois mois sous la tente dans les Adirondacks, ou dans les Rocheuses, mettent parfois un terme aux cas les plus aigus. Les médicaments sont d’une bien faible utilité. » – mais mettent déjà l’accent sur l’intérêt des thérapies non médicamenteuses et sur le peu d’intérêt des médicaments.
La douleur, après de nombreuses errances diagnostiques, est maintenant quasi unanimement rapportée à une sensibilisation nociceptive du système nerveux central : celle-ci survient après une activité soutenue des nocicepteurs en condition physiologique ou en situation pathologique. Elle reflète une réponse adaptative du système nerveux central en termes de plasticité neuronale et au niveau des cellules gliales, mettant en jeu des interactions neuro-immunes entre neurones et cellules gliales (microglie et astrocytes). L’augmentation de l’excitabilité neuronale, le renforcement de l’efficacité de la transmission synaptique et la levée d’inhibition au sein des circuits nerveux nociceptifs conduisent globalement au gain d’efficacité de la transmission de l’information nociceptive qui caractérise la sensibilisation nociceptive. Les mécanismes qui interviennent dans le développement de la sensibilisation nociceptive centrale associée à des douleurs physiologiques ou pathologiques sont en partie communs. Cependant, la sensibilisation qui accompagne les douleurs pathologiques persiste à long terme. Le changement de phénotypes cellulaires, soutenu par l’expression différentielle de gènes, est un élément clé du maintien de la sensibilisation nociceptive centrale (2). Outre l’intervention « classique » des facteurs de transcription, de nouveaux mécanismes de régulation d’expression de gènes ont été mis à jour, témoignant de modifications épigénétiques dans la physiopathologie des douleurs chroniques. Ces données suggèrent également l’exploitation possible de certains de ces systèmes de contrôle pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques.
D’après Basbaum (3), le phénomène de sensibilisation centrale comporte trois composantes principales : une sensibilisation en lien avec la neurotransmission glutamergique au niveau des récepteurs NMDA, une altération des systèmes de modulation (désinhibition) et une activation de la microglie. Cette sensibilisation concerne aussi l’axe neuro-endocrinen, l’axe neuro-digestif, l’axe immunitaire, rendant compte de certains désordres associés à la douleur dans la fibromyalgie.
Un état d’hyperexcitabilité du cortex moteur est ainsi présent chez les patients fibromyalgiques (FM). Des données expérimentales indiquent qu’une perte d’inhibition inter-hémi-sphérique entre les cortex moteurs de volontaires sains est corrélée à la sensibilité clinique des patients (4). On pointe ici un rôle clé du cortex moteur qui sera utilisé dans la prescription d’exercice physique pour diminuer la douleur, et dans les traitements par neurostimulation cérébrale du cortex moteur.
Une revue systématique sur les modifications anatomiques du SNC en lien avec la douleur dans la fibromyalgie a retrouvé une atrophie dans le cortex préfrontal, le cortex cingulaire antérieur, l’insula, le thalamus, le pont, le précuneus gauche et le gyrus para-hippocampiques. Les auteurs relèvent une activation de la matrice de la douleur et une diminution de l’activité des systèmes inhibiteurs en lien avec la sensibilisation centrale. Il existe aussi une diminution de la dopamine associée à la fibromyalgie (5). L’axe neuro-endocrinien est également concerné avec notamment un déficit en testostérone (son administration réduit les signes douloureux dans une étude récente) (6).
Une conséquence est la diminution de la réponse au placébo comme l’a montré une étude de Kosek (7) : l’ancienneté de la fibromyalgie influence la régulation centrale de la douleur, et affecte négativement le niveau de douleur et l’analgésie induite par placébo. Cela incite à traiter la fibromyalgie le plus précocement possible.
La fibromyalgie peut donc actuellement être considérée comme l’expression clinique d’un véritable syndrome de sensibilisation centrale, parfois associé à des atteintes périphériques persistantes (neuropathies, inflammation chronique). La sensibilisation centrale peut-être produite par une altération cognitivo- émotionnelle (traumatisme) mettant en jeu directement des afférences des cortex préfrontal et cingulaire, des amygdales et de l’hypothalamus. Par contre relier la fibromyalgie à une neuropathie à petites fibres n’a « aucun sens physiologique » (8).
Les options thérapeutiques sont nombreuses mais parfois décevantes.
L’EULAR recommande une approche multidisciplinaire afin de soulager les symptômes de la fibromyalgie, avec en première intention des thérapies non-médicamenteuses comme l’exercice physique. La prise de médicaments ne doit être envisagée qu’en seconde intention. Il faut avant tout que « chaque patient reçoive un traitement adapté aux symptômes de fibromyalgie qui lui sont propres et à ses besoins ». La prise en charge doit être multidisciplinaire et nécessite une éducation du patient sur sa maladie dès le diagnostic.
L’EULAR en 2016 a retenu quatre critères d’évaluation pour établir une éventuelle efficacité thérapeutique : une diminution du syndrome douloureux ; une diminution de la fatigue chronique ressentie ; une amélioration du sommeil ; une diminution du handicap induit par le fibromyalgie sur la vie quotidienne.
L’éducation thérapeutique du patient est la clé de voûte de la pris en charge thérapeutique et doit l’accompagner tout au long du processus thérapeutique (9).
Les approches non médicamenteuses sont privilégiées en première intention, mais la seule « fortement » recommandée par l’EULAR est l’exercice physique (10). « Celui-ci est reconnu par les études analysées comme significativement efficace contre la douleur et le handicap fonctionnel », indique l’EULAR. « L’exercice physique améliore aussi le bien-être. Il s’agit d’une thérapie non médicamenteuse peu coûteuse et avec une absence d’effets indésirables, s’il est bien pratiqué. »
D’autres études devront en revanche être réalisées pour déterminer quels types d’exercice physique doit être pratiqué pour une plus grande efficacité de ce traitement (11).
La natation également a prouvé son efficacité pour réduire la douleur et améliorer la qualité de vie. Dans une étude contrôlée, Fernandes l’a démontré pour un groupe de 75 femmes assignées à marcher ou à pratiquer la natation : la douleur a été réduite de façon significative et durable dans les deux cas (12).
Les pratiques méditatives ou apparentées (tai chi, yoga, qi gong) sont « faiblement » approuvées par les experts de l’EULAR mais semblent tout de même avoir un effet positif sur le sommeil, la fatigue et la qualité de vie (13).
Par contre une étude sur le Reiki a montré son inefficacité (14).
L’impact de la sophrologie a été étudié et comparé au réentrainement à l’effort par Santos de Oliveira en 2016, montrant une équivalence d’efficacité sur la douleur. C’est une méthode à évoquer comme thérapie adjuvante aux traitements, améliorant également la qualité de vie en aidant le sujet à se recentrer et sortir de cet enfermement dans sa maladie (15).
L’acupuncture est parfois utilisée, encore assez rarement ; elle semble améliorer la fatigue et la douleur. Des études ont montré son efficacité rapide et prolongée de manière significative (16).
L’hypnose est actuellement également beaucoup étudiée en raison de l’adéquation de ses cibles neuronales qui recouvrent largement les structures de la « pain matrix ». Des suggestions proposées après induction hypnotique peuvent significativement améliorer l’expérience subjective de la douleur. L’hypnose agit sur les structures impliquées dans le syndrome de sensibilisation centrale en réduisant son inflammation (action au niveau des noyaux amygdaliens sur les cytokines) (17, 18).
Pour Menzies, l’autohypnose est intéressante, permettant au patient une participation active à la thérapeutique ; il mesure que l’effet se maintient sur la douleur, et particulièrement sur les composantes cognitives et affectives de la fibromyalgie : qualité du sommeil, catastrophisme, impression globale de changement (19).
L’hypnose est donc à retenir bien que le niveau de preuve soit encore faible, elle permet au sujet de rétablir un schéma corporel souvent défaillant et ainsi d’initier une remise en mouvement profonde qui pourra être entretenue grâce à l’autohypnose.
Les cures thermales sont également citées par l’EULAR, elles pourraient soulager la douleur et améliorer la qualité de vie. Elles associent durant trois semaines, avec un effet répétitif favorable, des approches complémentaires bien documentées pour la fibromyalgie : bains, douches, piscine à jets ou massages, les techniques à visée mobilisatrice telle que la rééducation active en piscine qui permet une réadaptation progressive à l’effort en évitant la kinésiophobie ; l’environnement est favorable sur le plan psychosocial (repos physique et psychique, éloignement du cadre de vie habituel, dynamique de groupe, échanges avec les autres curistes, écoute, éducation thérapeutique) et propose une prise en charge multiple y compris psychologique. Dans les structures spécialisées dans ce type de thermalisme les soignants sont formés à l’éducation thérapeutique, et capables d’installer un « coping positif » avec le patient : il reçoit des informations sur sa pathologie, sur les objectifs à se donner, les habitudes à changer, il est amené à mieux comprendre le syndrome fibromyalgique pour mieux en maîtriser les conséquences et améliorer sa qualité de vie en se libérant de ses craintes et croyances limitantes et en adhérant à un nouvelle façon de vivre et de remettre son corps en mouvement (20, 21).
D’autres options thérapeutiques se développent actuellement et méritent d’être évaluées sérieusement.
Garrido a évalué l’effet d’une rééducation de la fonction respiratoire par un programme De huit semaines à l’issue duquel ont été constaté une amélioration du sommeil (diminution de la latence à l’endormissement, durée augmentée et meilleure qualité) et une diminution de la douleur (22).
Alev a évalué l’intérêt de la plaque vibrante chez 20 patientes souffrant de fibromyalgie (23). A six mois tous les symptomes avaient régressé avec un FIQ significativement amélioré (Fibromyalgia Impact Questionary).
Des techniques de stimulation du système nerveux central comme la rTMS (stimulation magnétique trans crânienne répétitive) et la tDCS (stimulation électrique directe transcranienne) se développent ; très prometteuses, elles sont encore en phase d’évaluation et n’apparaissent pas encore dans les recommandations bien que leur efficacité soit remarquable.
De nombreux auteurs ont étudié l’effet antalgique de la stimulation du cortex moteur controlatéral à la zone douloureuse dans des cas de douleurs neuropathiques focales. Cependant, il a été montré qu’une stimulation corticale motrice unilatérale pouvait produire des effets antalgiques diffus, notamment dans des conditions de douleurs non neuropathiques ou provoquées. Dans la fibromyalgie, c’est la zone motrice du pouce dominant qui est stimulée, repérée par neuronavigation. Des séances répétées pendant 6 mois permettent d’obtenir un résultat significatif et stable sur la douleur. Ces techniques sont non invasives, indolores, sans aucun effet indésirable. C’est une voie à développer (24, 25).
Des mesures diététiques sont également proposées par certains nutritionnistes. Sous l’impulsion de Sue Shepherd, spécialiste australienne, le régime pauvre en FODMAP, utilisé dans les pathologies chroniques inflammatoires du tube digestif, a été testé dans la fibromyalgie. Le terme FODMAP est l’acronyme dérivé de l’anglais : Fermentable Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols. Ces hydrates de carbone sont abondants dans l’alimentation occidentale moderne. Restreindre ces FODMAP est bénéfique en cas d’intestin irritable ou d’autre trouble fonctionnel gastro-intestinal (TFGI). Le régime pauvre en FODMAP est dorénavant admis et recommandé auprès des sujets colopathes. Marum a montré qu’en quelques mois de diète on obtenait un effet positif sur les symptômes de la fibromyalgie y compris la douleur, ainsi que sur les atteintes associées notamment digestives (26).
En cas d’échec des thérapeutiques non médicamenteuses, l’EULAR recommande trois médicaments si le syndrome douloureux prédomine : duloxétine (antidépresseur), prégabaline et tramadol (antidouleurs). Ces trois médicaments disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) avec l’indication « fibromyalgie » aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe, mais pas en France hormis la duloxétine.
En cas de troubles du sommeil importants associés, l’amitriptyline (antidépresseur) et la prégabaline sont recommandés.
Les experts de l’EULAR déconseillent les anti-inflammatoires non stéroïdiens (antidouleurs), les inhibiteurs de monoamine oxydase (antidépresseurs) et les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (antidépresseurs) en raison de leur manque d’efficacité.
Nørregaard précise que l’amitriptyline et la cyclobenzaprine ont montré une certaine efficacité sur la douleur diffuse dans la fibromyalgie, mais une étude sur 22 patients contre placebo n’a mis en évidence aucun effet du citalopram après quatre semaines de traitement (27).
Wolfe a également montré l’absence d’effet de la fluoxétine (28).
Pour Staud le milnacipran améliore l’attention et la vigilance mais n’a pas d’action significative sur la douleur et le FIQ (29).
Dans un autre domaine de la pharmacopée, des tentatives cliniques se sont déroulées avec l’utilisation de la kétamine, sans aucun consensus sur le mode d’administration. L’étude de Logerot (30) fait le point sur ce medicament. La kétamine, depuis le début des années 1990, est utilisée à des doses sub-anesthésiques pour son action analgésique. Elle agit en effet par blocage des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) impliqués dans les phénomènes de sensibilisation des voies nociceptives responsables de l’hyperalgésie. Elle est utilisée pour traiter les douleurs rebelles dans le domaine des soins palliatifs, du cancer et dans la fibromyalgie. Même si les preuves sont faibles, son usage s’est rapidement répandu en raison de l’insuffisance d’action des autres options médicamenteuses. Elle s’utilise par injection intra-veineuse ou sous cutanée une à deux fois par semaine avec un effet rémanent variable. Les effets sont très variable : initialement 80% des patients sont satisfaits, mais pour plus de la moitié d’entre eux l’efficacité s’estompe, nécessitant une augmentation des doses administrées. Se pose le problème de l’apparition d’une tolérance, puis parfois d’une dépendance donnant un syndrome de sevrage à l’arrêt du traitement. Des effets indésirables existent : cardio-vasculaires (hypotension, arythmie), difficultés de concentration, hallucinations, troubles sensoriels. L’absence de consensus et de recommandations standardisées sur l’usage hors AMM de la kétamine dans la fibromyalgie incite à une grande prudence de prescription, celle-ci doit être impérativement initiée en milieu hospitalier et la surveillance doit être attentive. Il n’est pas certain que l’intérêt à long terme de la kétamine soit bien réel.
L’hormone de croissance humaine, l’oxybate de sodium, les antalgiques opiacés de niveau 3 et les corticostéroïdes sont « fortement » déconseillés en raison de leurs effets indésirables et du manque de preuves en termes d’efficacité.
En conclusion, des traitements relativement efficaces sont disponibles. Ils doivent être adaptés au besoin du patient et prescrits avec prudence et sous une surveillance attentive.
Les « psychothérapie » sont « faiblement » recommandées par l’EULAR, qui estime qu’elles ne doivent être envisagées qu’en seconde intention, pour les patients qui présentent des troubles de l’humeur ou peinent à s’adapter suite au diagnostic de fibromyalgie. Certaines thérapies cognitivo-comportementales ont prouvé une efficacité faible mais significative pour réduire les symptômes douloureux et les troubles de l’humeur.
Certains symptômes sont particulièrement à rechercher : l’alexithymie par exemple est positivement corrélée à la part affective de la douleur, d’autant plus qu’elle est associée à un syndrome anxieux (31).
Dans une autre étude le catastrophisme et l’anxiété sont associées à la douleur comme le prouve la consommation de médicaments. Là encore est mis en évidence le rôle du statut psychologique sur le ressenti de la douleur (32).
Enfin dans une autre étude récente est rappelé le rôle du support social dans l’évolution de cette affection, dans les sphères familiale, amicale et professionnelle. C’est une donnée à explorer avec les patients (33).
Au total les patients souffrant de fibromyalgie doivent donc bénéficier d’une prise en charge pluridisciplinaire psychologique, médicale, éducationnelle et rééducationnelle. Le statut marital, le nombre de pathologies
intercurrentes, l’ancienneté des symptômes douloureux, la présence d’une anxiété sont des facteurs en prendre en compte dans la thérapeutique (34). Plus le traitement sera précoce, plus il aura de chance d’être efficace.
Bibliographie :